(...) « Le travail de Marianne Muller interroge directement la nature même de l’image et invite à repenser la représentation. Son travail consiste en effet à produire des images à partir d’images déjà constituées (de la même manière que le « cut-up » produit des textes à partir de matériaux littéraires déjà existants). 
Elle cherche des images génératrices d’un effet de réel relativement puissant pour que leur perte de toute référence au monde qu’elles sont censées représenter apparaisse d’autant plus clairement quand, isolées de leur contexte, elles ne résonnent plus qu’avec d’autres images. Les images ne font plus référence à quelque chose qui serait à l’extérieur du monde des images. 
Le fait qu’elles n’aient de sens que les unes par rapport aux autres questionne la définition même de l’image. Alors qu’une image, et surtout une image d’actualité, n’a d’existence que par rapport à un autre objet qu’elle représente, ici, le critère de l’image n’est plus d’être adéquate à la réalité, elle a une existence autonome. Les liens entre les images deviennent des liens formels entre les sons, les matières, les odeurs qu’elles évoquent. Les signifiants sont télescopés les uns sur les autres, sans référence aux signifiés. 
Ce travail de déconstruction des images est assez proche de la théorie du signe proposée par Friedrich Frege. Frege distingue dans un mot le signe, sa dénotation et sa connotation. Le signe est sa forme matérielle (synonyme du signifiant chez Saussure), sa dénotation est l’objet auquel renvoi le signe, et sa connotation est ce qu’on y associe subjectivement en fonction de l’histoire et du contexte social dans lequel il apparaît. Pour le dire dans les termes de Frege, on pourrai donc dire qu’en coupant les images de leur dénotation, on ne supprime pas pour autant leur connotation. Les images continuent à être porteuses de connotations, qui, rapprochées les unes des autres, produisent des sens nouveaux. Il s’agit finalement d’interroger la matérialité de l’image en faisant jaillir des représentations qui peuvent n’être même que des images mentales, dont l’existence semble d’avantage liée à ce que le spectateur projette en elle qu’aux supports matériels construits ».

Marlène Benquet
Sociologue / Directrice de recherche au CNRS