Dès le cinquième siècle après Jésus-Christ, l’Église remerciait officiellement ses bienfaiteurs en sculptant ou en peignant leurs noms, puis leurs portraits, sur des panneaux en deux parties. Les diptyques rappelaient alors aux fidèles de prier pour leurs patriarches, leurs evêques, leurs papes ou leurs princes. Progressivement, même les mécènes les plus puissants eurent peur d’être “rayés des diptyques” et de tomber dans l’oubli comme l’empereur Zénon – mort ivre en 491. Le diptyque reste, depuis, une affaire de religion et de pouvoir.

Les diptyques de Marianne Muller conservent cette double origine en la dénaturant. Le chevalier de Saint-Georges rencontre les Chicago Bulls, la grotte de Lascaux mime une bombe atomique, un morse pose sur sa banquise comme un couple sur une plage. Du plus sacré au plus prosaïque, les images se réveillent en se frottant les unes aux autres. À se rapprocher ainsi, les bienfaiteurs tombent de haut : la poignée de main Mitterand-Adenauer se transforme en structure de porte-container automatisé ; des élus du Var en de frétillants

poissons couteaux, juste bons pour la friture ; la colombe du pape en avion de chasse en parade. Et les icones les plus modernes ne sont pas épargnées, car à la question “qu’est-ce qu’un skateur?” Marianne Muller répond : “c’est une mini brochette-saucisse”.

Comment tiennent ensemble ces couples inquiétants et sympathiques? De quels liens d’amitié, d’amour ou de haine s’agit-il? Une réponse est possible : ce n’est ni l’idée ni le sens qui les rapprochent, ce sont la forme et la couleur. Il y a suffisament de personnalité dans l’inclinaison d’une gueule de loup, l’angle d’un décolleté Marilyn Monroe ou la structure de tomates à la mozzarella pour qu’on puisse arrêter un instant de réfléchir et apprécier la forme pure qui émerge, parfois très lentement, au cours de la confrontation. Les diptyques proposent ainsi une manière de passer, petit-à-petit, de l’ironie à la contemplation, et de la figuration à l’abstraction – avant de revenir au point de départ.”(...)

Clément Calliari
Ecrivain chez Gallimard / Nrf